Подборка стихотворений Анны Элизабет де Ноай (на французском языке).

La mort fervente

Mourir dans la buée ardente de l’été,
Quand parfumé, penchant et lourd comme une grappe,
Le coeur, que la rumeur de l’air balance et frappe,
S’égrène en douloureuse et douce volupté.

Mourir, baignant ses mains aux fraîcheurs du feuillage,
Joignant ses yeux aux yeux fleurissants des bois verts,
Se mêlant à l’antique et naissant univers,
Ayant en même temps sa jeunesse et son âge,

S’en aller calmement avec la fin du jour ;
Mourir des flèches d’or du tendre crépuscule,
Sentir que l’âme douce et paisible recule
Vers la terre profonde et l’immortel amour.

S’en aller pour goûter en elle ce mystère
D’être l’herbe, le grain, la chaleur et les eaux,
S’endormir dans la plaine aux verdoyants réseaux,
Mourir pour être encor plus proche de la terre…
Les ombres

Quand ayant beaucoup travaillé
J’aurai, le cœur de pleurs mouillé,
Cessé de vivre,
J’irai voir le pays où sont
Tous les bons faiseurs de chansons
Avec leur livre.

Chère ombre de François Villon
Qui comme un grillon au sillon
Te fis entendre.
Que n’ai-je pu presser tes mains
Quand on voulait sur les chemins
Te faire pendre.

Verlaine qui vas titubant,
Chantant et semblable au dieu Pan
Aux pieds de laine,
Es-tu toujours simple et divin,
Ivre de ferveur et de vin,
Bon saint Verlaine ?

Et vous dont le destin fut tel
Qu’il n’en est pas de plus cruel,
Pauvre Henri Heine,
Ni de plus beau chez les humains.
Mettez votre front dans mes mains,
Pensons à peine.

Moi, par la vie et ses douleurs,
J’ai goûté l’ardeur et les pleurs
Plus qu’on ne l’ose…
Laissez que, lasse, près de vous,
Ô mes dieux si sages et fous,
Je me repose…
Parfumés de trèfle et d’armoise

Parfumés de trèfle et d’armoise,
Serrant leurs vifs ruisseaux étroits,
Les pays de l’Aisne et de l’Oise
Ont encor les pavés du roi.

La route aux horizons de seigle,
De betterave et de blé noir,
À l’air du dix-septième siècle
Avec les puits et l’abreuvoir.

Un pied de roses ou de vigne
Fournit de feuilles les maisons,
Où le soir la lumière cligne
Aux fenêtres en floraison.

Dans les parcs, les miroirs du sable
Reflètent l’ombre du sapin,
La pelouse est comme une fable
Avec sa pie et ses lapins.

On y voit à l’aube incertaine
Des lièvres rouler dans le thym,
Comme chez Jean de La Fontaine
Quand son livre sent le matin.

— Quand La Fontaine avait sa charge
De maître des eaux et forêts.
Le pré pliait en pente large,
Le bois avait ses bruits secrets,

Les rivières avaient leurs tanches,
La plaine humide le héron,
Comme aujourd’hui où le jour penche
Son soleil sur les arbres ronds.

Ce soir, cette basse colline
Bleuit au crépuscule long,
Comme quand le petit Racine
Jouait à la Ferté-Milon.

— Ô beaux pays d’ordre et de joie
Vous ne déchiriez pas le cœur
Comme à présent où l’homme ploie
Sous votre ardeur et votre odeur.

— Quand Fénelon au temps champêtre
Marchait dans le soir parfumé,
Portant déjà la langueur d’être
Un jour malgré soi-même aimé ;

La lune, le hêtre immobile,
L’eau grave, l’if silencieux,
Entraient dans son rêve tranquille
Et formaient la face de Dieu.

Et quand après des pleurs de rage
Les amants entraient au couvent,
Les étangs et les beaux ombrages
Les consolaient des yeux vivants.

Car dans ce temps, haute et paisible.
La Nature, ses bois, ses eaux,
N’avaient pas cette âme sensible
Qui plus tard fit pleurer Rousseau.

A la nuit (Le coeur innombrable)

Nuits où meurent l’azur, les bruits et les contours,
Où les vives clartés s’éteignent une à une,
Ô nuit, urne profonde où les cendres du jour
Descendent mollement et dansent à la lune,

Jardin d’épais ombrage, abri des corps déments,
Grand coeur en qui tout rêve et tout désir pénètre
Pour le repos charnel ou l’assouvissement,
Nuit pleine des sommeils et des fautes de l’être,

Nuit propice aux plaisirs, à l’oubli, tour à tour,
Où dans le calme obscur l’âme s’ouvre et tressaille
Comme une fleur à qui le vent porte l’amour,
Ou bien s’abat ainsi qu’un chevreau dans la paille,

Nuit penchée au-dessus des villes et des eaux,
Toi qui regardes l’homme avec tes yeux d’étoiles,
Vois mon coeur bondissant, ivre comme un bateau,
Dont le vent rompt le mât et fait claquer la toile !

Regarde, nuit dont l’oeil argente les cailloux,
Ce coeur phosphorescent dont la vive brûlure
Éclairerait, ainsi que les yeux des hiboux,
L’heure sans clair de lune où l’ombre n’est pas sûre.

Vois mon coeur plus rompu, plus lourd et plus amer
Que le rude filet que les pêcheurs nocturnes
Lèvent, plein de poissons, d’algues et d’eau de mer
Dans la brume mouillée, agile et taciturne.

A ce coeur si rompu, si amer et si lourd,
Accorde le dormir sans songes et sans peines,
Sauve-le du regret, de l’orgueil, de l’amour,
Ô pitoyable nuit, mort brève, nuit humaine !…

Bittô (Le coeur innombrable)
Bittô
Le bourdonnant été, doré comme du miel,
Parfumé de citrons, de résine et de menthe,
Balance au vent sucré son rêve sensuel
Et baigne son visage au clair de l’eau dormante.

Les pesants papillons ont alangui les fleurs,
Le cytise odorant et la belle mélisse
Infusent doucement dans la grande chaleur,
Le soleil joue et luit sur les écorces lisses ;

Les branches des sureaux et des figuiers mûris
S’emplissent du remous des abeilles fidèles…
Comme le jour est gai, comme la plaine rit !
Les prés chauds et roussis crépitent d’un bruit d’ailes.

Voici qu’on voit venir, le soleil sur les yeux,
La petite Bittô, la danseuse aux crotales ;
La blancheur du chemin plaît à ses pieds joyeux
Que la poussière brûle au travers des sandales.

Son voile est de lin vert comme un nouveau raisin,
Sa robe est attachée à son épaule frêle,
La beauté du matin enorgueillit son sein
Et son coeur est content comme une sauterelle.

Ses boîtes de parfums et son petit miroir
Font un bruit de cailloux au fond de sa corbeille ;
Elle danse en marchant et s’amuse de voir
Des bords de chaque fleur s’envoler des abeilles.

– Ah ! Bittô, quel désir mène tes pieds distraits
Aux dangereux sentiers de la campagne ardente ?
D’invisibles Érôs habitent les forêts,
Et des poisons subtils montent du coeur des plantes.

Retourne te mêler aux travaux du matin,
Car l’heure de midi promptement s’achemine,
Ou bien va regarder dans ton petit jardin
Si la nuit a mûri les vertes aubergines…

Mais, rieuse et nouant ses deux mains à son cou,
Bittô n’écoute pas les prudentes paroles ;
Le vent joueur s’enroule autour de ses genoux
Et fait un bruit soyeux comme un ruban qui vole.

Le baume végétal qui flotte dans l’air bleu
Enduit d’un miel léger son âme complaisante
Elle vient, au travers des épis onduleux,
S’asseoir près d’un étang où rêve l’eau luisante.

Avides de s’unir au glorieux été,
La pivoine touffue et l’anémone rose
Se pâment de désir et semblent rejeter
Le lâche vêtement des corolles décloses.

– Quelle silencieuse et palpitante ardeur
Rôde autour de vos pieds, vous guette et vous accueille,
Bittô ? Le soleil gonfle et mûrit votre coeur ;
Votre coeur est tremblant comme un buisson de feuilles.

Du flanc de la colline où le cassis bleuit,
Voici Criton qui vient faire boire ses chèvres
A l’étang où Bittô, sous la feuille qui luit,
S’amuse à retenir l’eau vive entre ses lèvres.

Il s’est approché d’elle, il lui dit : ” Ma Bittô,
Prends ce fromage, blanc et rond comme la lune,
La noix que j’ai sculptée au bout de mon couteau
Et le panier de jonc où je mettais mes prunes. ”

Il lui fait de hardis et timides serments,
Il l’entoure, il la presse, il tient ses mains, il joue…
– Et Bittô, déjà lasse et faible infiniment,
Se couche dans ses bras et lui baise la joue…

*
**

Comme elle est grave et pâle après l’âpre union !
– Ô vous dont la pudeur tristement fut surprise,
Tendre corps plein de trouble et de confusion,
Bittô, je vous dirai votre grande méprise :

Le rude et lourd baiser dont parlent les chansons
Ne guérit pas le mal dont vous étiez atteinte ;
Votre langueur venait de la verte saison,
Du parfum des mûriers et des chauds térébinthes.

Pensant vous délasser d’un tourment inconnu
Qui vous venait des champs, des feuilles, de la terre,
Vous avez sans prudence attaché vos bras nus
Au cou du chevrier dont l’étreinte est amère ;

Amoureuse du jour vivant et de clarté,
Vous avez cru pouvoir apaiser sur sa bouche,
Diseuse de mensonge et de frivolités,
Votre désir de l’air, des fleurs, de l’eau farouche ;

Sentant que votre coeur, si lourd et si dolent,
Pesait à votre sein comme un nid aux ramures,
Vous avez cru qu’aux mains du berger violent
Il pourrait s’effeuiller comme une rose mûre…

Ah ! Bittô, quelle ardeur et quelle volupté
Auraient donc pu guérir votre malaise insigne ?
– L’amant que vous vouliez, c’était le tendre Été
Saturé d’aromate et de l’odeur des vignes !

Dissuasion (Le coeur innombrable)

Dissuasion
Fermez discrètement les vitres sur la rue
Et laissez retomber les rideaux alentour,
Pour que le grondement de la ville bourrue
Ne vienne pas heurter notre fragile amour.

Notre tendresse n’est ni vive ni fatale,
Nous aurions très bien pu ne nous choisir jamais ;
Je vous ai plu par l’art de ma douceur égale,
Et c’est votre tristesse amère que j’aimais.

La peine de nos coeurs est trop pareille, et telle
Que nous nous mêlerions sans nous renouveler :
Évitons le mensonge et la brève étincelle
D’un désir qui nous luit sans pouvoir nous brûler.

La vie a mal gardé ce que nous lui donnâmes,
Rien du confus passé ne peut se ressaisir ;
Nous aurions tous les deux trop pitié de nos âmes,
Après l’oubli léger et fuyant du plaisir :

Car nous entendrions sangloter notre enfance
Pleine de maux secrets, toujours inapaisés,
Que ne rachète pas, dans sa munificence,
La réparation tardive des baisers…

Il fera longtemps clair ce soir (Le coeur innombrable)
Il n’est pas un instant (Poиmes de l’amour)
L’ardeur (Le coeur innombrable)
L’automne (Le coeur innombrable)
L’empreinte (Le coeur innombrable)
L’hiver (Le coeur innombrable)
L’innocence (Le coeur innombrable)
L’inquiet désir (Le coeur innombrable)
L’offrande à la nature (Le coeur innombrable)
L’orgueil (Le coeur innombrable)
La chaude chanson (Le coeur innombrable)
La cité natale (Le coeur innombrable)
La conscience (Le coeur innombrable)
La jeunesse (Le coeur innombrable)
La journée heureuse (Le coeur innombrable)
La mort dit à l’homme… (Le coeur innombrable)
La mort fervente (Le coeur innombrable)
La nuit, lorsque je dors (Poиmes de l’amour)
La tristesse dans le parc (Le coeur innombrable)
La vie profonde (Le coeur innombrable)
Le baiser (Le coeur innombrable)
Le coeur (Le coeur innombrable)
Le jardin et la maison (Le coeur innombrable)
Le pays (Le coeur innombrable)
Le repos (Le coeur innombrable)
Le temps de vivre (Le coeur innombrable)
Le verger (Le coeur innombrable)
Les parfums (Le coeur innombrable)
Les paysages (Le coeur innombrable)
Les rêves (Le coeur innombrable)
Les saisons et l’amour (Le coeur innombrable)
Ô lumineux matin (Le coeur innombrable)
Paroles à la lune (Le coeur innombrable)
Plainte (Le coeur innombrable)
Soir d’été (Le coeur innombrable)
Vivre, permanente surprise ! (L’honneur de souffrir)
Voix intérieure (Le coeur innombrable)
Vous êtes mort un soir (L’honneur de souffrir)